Assortir d'une postface ce recueil qui constitue le dernier volet d'un triptyque° (et, à mes yeux, l'acmé de l'œuvre poétique) ne se peut qu'en écrivant dans le sillage de l'auteur et en s'effaçant derrière l'hommage qu'on lui rend. D'autant qu'il s'agit d'un "chemin de l'écoute", d'une quête de l'Inespéré, du sens caché du monde et de l'unité perdue.

En avant-propos, Bertrand Delporte définit ce qu'il entend par "Proésie" : un amalgame d'or et d'émaux "qui englobe les mystères de l'être" (corps/âme/esprit). Ainsi, en poète il élève la voix sur les profondeurs de l'être. Ses mots de chair son la matière de l'esprit.

Exigeante, cette écriture qui récuse le lecteur superficiel car elle ne s'offre pas de facilités. Evidente, sa fonction cathartique : pas moins qu'un combat avec l'ange des mots, qu'une lutte pied à pied avec la difficulté de vivre. Il s'agit d'exorciser le manque, de capter les ondes d'un séisme, intérieur, d'une fracture intime. De pacifier, de rassembler ce qu’Herman Hesse appelait "le moi en miettes"...

Voie d'unification de soi, de longue haleine on l'imagine, dans la nécessité d'assumer la dualité interne et les rapports conflictuels au sein de l'amour ambivalent :
"Epaule contre épaule
la haine ou l'amour"...
Duel ou duo, "neige et suie" ou encore "le temps du noble et le temps du vil"...

Le poète semblait ne se tourner que vers la perte, n'exercer que dans "la lucidité du néant", or voici qu'à force de creuser la nuit intérieure, celle-ci l'ajoure. (Par parenthèse, comment ne pas songer ici à l'art de l'outrenoir°° d'un Soulages incarnant de la lumière dans l'épaisseur de nos nuits ?)

Doué d'une sensibilité vibratoire, Bertrand Delporte, par ce ton ramassé, cette secrète amplitude bien à lui, voit s'ouvrir la clairière, la grâce d'un "je" réconcilié. Non encore certes, la béatitude et la sérénité, mais l'entrevision d'une "aurore musicale" en sa "bleuité". Se pose en lui, sans s'imposer "l'image d'une rose et d'un vitrail sur le visage". Visage à son visage, Nom qui ne s'écrit pas mais qui s'invoque dans le silence parlant des prières imprononcées, des "solitudes lumineuses"...

Bertrand Delporte tisse des agencements invisibles, de subtiles synesthésies. Et si "la terre de l'âme est l'écriture", le ciel parfois descend d'une octave et fait de lui un visité qui vocalise de la lumière. La page est une lente partition qui furtivement l'ensoleille. Si la danse "relève de l'accouchement", quelque chose en lui s'allège. Le temps est un temps intérieur : celui du consentement, du repos, de l'étreinte sans ombre ni trouble, d'une "pureté timide", des couleurs d'une enfance retrouvée :



"un lâcher de ciel sur la mer"...

Gilles Baudry