Le préfacier n'a qu'un privilège, celui d'avoir été le premier lecteur. Il ne tient d'abord qu'à remercier l'auteur pour sa confiance. Il ne veut surtout pas dicter une interprétation : certaines clés lui ont permis de découvrir le livre, d'autres sont possibles. Le livre de Bertrand Delporte est bien trop mobile pour être réduit d'une formule.


     Où est notre demeure ? Bertrand Delporte ne cesse de se heurter à des "murs", à des "remparts", ici, c'est à dire dans tout ce que nous prétendons définir pour nous rassurer. "Autour,/ c'est toujours là " que nous devons regarder ou écouter. Il envie donc le vent, l'oiseau (le goéland de préférence), les herbes sauvages, les voiles, ces " épousées du velours de l'air "... Il avance ainsi, du moins le croit-il, le temps d'un éclat.  Car il ne peut s'empêcher de porter sur ce qui apparaissait comme une présence appréciée  dans sa fraîcheur un jugement critique, ironique. " Faut-il y croire ? " demande-t-il' et la question sous une forme ou sous une autre revient en permanence.

    Phrases brèves, rejets nombreux, intervalles de silence, le poème ne se construit que pour se défaire jusqu'au vertige. Quand " les beautés " ne seront-elles pas " fausses " ? Pour que surgisse un nouveau poème, Bertrand Delporte doit retrouver, accru, le sens de la menace qui seul restitue le " chemin ". Les mots, même ceux que l'on suppose les moins entravés, dont on imagine qu'ils sont les moyens privilégiés de l'approfondissement et de la libération, peut-être ne sont-ils que des " trompe-l'oeil ", les pires. Bertrand Delporte serait prêt à s'en enivrer, et cependant, pourquoi ce travail qui épuise les ressources de l'homophonie ou des allitérations, sinon pour obliger le lexique entier à rendre gorge ? Pourquoi ces termes rares, sinon pour multiplier les heurts ?

    Une musique rauque en émane, qui interdit à Bertrand Delporte de se contenter de quoi que ce soit, et surtout pas d'elle-même, " une musique de la passé ". Il n'en doute pas pourtant, l'exigence qui parcourt le poème, qui anime tout son livre, conduit le "moi hors du moi ". Ce mouvement nous porte vers le visage d'un enfant comme vers le plus grand large, il ne se révèle que grâce au " don d'Amour. "

    Le préfacier non plus n'en doute pas, lui qui se refuse à conclure : notre demeure est dans l'ouvert.

Pierre Dhainaut.